La Toupie 
 
Site sans publicité, ni cookies, ni IA
 
L'abus d'images animées est dangereux pour le cerveau
(Les objets temporels)



On en parle
(Boycott)


Un banal contrôle routier révèle un secret d'Etat impliquant le...

La citation du mois
(Historique)
"Le leader populiste dénonce toujours un système dont il est lui-même issu."
Matthieu Suquière
Qui sommes-nous ?
Questions/Réponses
Contact
Contribuer à La Toupie
  La Toupie  >  Textes  >  Quelques pistes pour lutter contre le FN

Quelques pistes pour lutter contre le FN

et accessoirement contre les théories du complot



A la veille de l'élection présidentielle de 2017, on ne peut que déplorer l'échec de la classe politique française pour enrayer la montée du Front national.

Dans un précédent article intitulé Le Front national : Est-ce un parti fasciste, populiste, nationaliste, poujadiste ou d'extrême droite ?, je concluais ainsi :
L'attitude qui consiste pour le FN à se présenter comme victime de complots, comme une forteresse assiégée par des élites conspirationnistes, produit sur son électorat un effet paradoxal. Toute critique argumentée et recevable contre le parti, contre son programme ou contre ses dirigeants provoque l'effet inverse de celui qui était espéré. La critique est perçue comme l'une des manifestations du complot. Elle renforce l'idée que le complot existe bien et donc que le parti avait raison de le dénoncer et donc que la critique est infondée. On trouve des comportements similaires dans les sectes et dans la paranoïa.
Les critiques faites au FN apparaissent inopérantes pour ceux qui sont déjà tombés dans ses filets, mais elles sont sans doute utiles pour empêcher les autres d'y tomber.

Ce constat pourrait inciter à baisser les bras, à laisser faire sans réagir, et attendre qu'une fois au pouvoir le parti "national populiste" d'extrême droite fasse la démonstration de l'impasse dans lequel il conduirait la France. Mais cinq ans, c'est long et l'on a vu où cela a conduit l'Europe de la première moitié du XXe siècle.

Quelle conduite tenir face à un parti (1) qui s'est enfermé dans un système de pensée "antisystème" et qui se présente comme victime de conspirations de la part de ce système, de ses élites, de ses médias ? ... qui considère la France comme victime de l'énarchie, des institutions européennes, des musulmans en train de l'envahir, de telle corporation ou groupe d'individus, transformés en autant de boucs-émissaires ?

Avec une telle posture, les critiques classiques s'avèrent sans effet sur les militants et les personnes déjà convaincues par l'idéologie du parti. Au contraire, elles renforcent leurs convictions. En psychologie cognitive, c'est ce qu'on appelle l'effet retour de flamme ou effet boomerang (2) : Une croyance initiale est renforcée en présence de preuves pourtant contradictoires ou invalidantes.

On peut distinguer deux types d'actions, le premier visant à ralentir ou arrêter l'afflux de nouveaux adhérents ou électeurs, le second à amener les militants et les personnes déjà convaincues à revoir leurs positions, ce qui est autrement plus difficile.

Ralentir l'afflux de nouveaux adhérents ou électeurs

Je me contenterai d'en lister quelques-unes sans les développer.
  1. Développer l'esprit critique à l'école le plus tôt possible si l'on veut être efficace, afin que chaque citoyen puisse assurer son autodéfense intellectuelle. (3)

  2. Dénoncer et déconstruire toutes les campagnes de désinformation et les allégations complotistes,

  3. Montrer clairement toutes les conséquences du programme du Front national,

  4. Avoir une position claire et humaniste mais ferme sur les questions de sécurité et d'immigration,

Amener les militants et les personnes déjà convaincues à revoir leurs positions

Les experts se montrent circonspects quant à la possibilité de faire évoluer le point de vue de ceux qui sont à l'origine d'une théorie du complot, de ceux qui les relaient ainsi que de ceux qui y croient fortement.
"Comment des individus dont les jugements sont prédéterminés par des schémas mentaux rigides peuvent-ils acquérir la capacité de changer d'opinion ? La réponse pessimiste et réaliste est qu'il est souvent trop tard." (Pierre-André Taguieff, auteur de Court traité de complotologie - Editions Mille et Une Nuits, 2013)
Il faut garder à l'esprit que les personnes convaincues d'être dans un monde fait de complots, de conspirations, de machinations, en proie à un sentiment de persécution, voire à la paranoïa, ont un raisonnement très structuré, bien que fondé sur des prémisses erronées, et qu'il est très difficile de leur faire admettre qu'elles sont dans l'erreur. Tous les arguments et les faits qui leur sont présentés sont retournés et utilisés comme preuves que leurs allégations sont vraies [effet retour de flamme (2)].

Il n'existe donc pas de solution miracle à ce problème, hormis quelques pistes à explorer qui ont fait leurs preuves dans d'autres contextes des relations humaines Ces pistes ont pour but d'amener les militants et les personnes déjà convaincues à reconnaître qu'ils se trompent :
  1. Eviter de les blesser en les traitant de fascistes, de nazillons, de crédules simplistes ou de tout autre insulte. Cela ne ferait que renforcer leurs convictions et leur sentiment d'être persécutés. Nous serions perçus comme faisant partie de leurs persécuteurs. On peut cependant leur montrer qu'ils ne sont pas au-dessus des lois.

  2. Les respecter en tant que personne et essayer, par des questions, de faire ressortir les contradictions entre leur discours et la réalité, sans porter de jugement de valeur sur les réponses.

  3. Quand leurs discours nous choquent (sans toutefois relever du délit d'opinion, de l'injure ou de la diffamation), il est préférable de dire ce que l'on ressent en entendant ces propos que de répondre sur le fond ou par une escalade verbale stérile. Il faut cependant veiller à rester fermes sur nos propres convictions.

  4. Ne pas se focaliser ni argumenter sur la réalité du complot qu'ils dénoncent, cela ne ferait que renforcer leur conviction. Il est plus efficace de :
    • leur demander pourquoi ils pensent de la sorte,
    • repérer les erreurs de raisonnement qui les ont conduits à une interprétation complotiste d'une situation ou d'un évènement relevant du concours de circonstances ou d'un phénomène complexe,
    • critiquer, s'il y a lieu, les sources d'information à l'origine du complot,
    • leur proposer de voir les choses différemment, sous un autre angle.

    "La lutte contre le complotisme a tout du combat asymétrique : on y affronte un adversaire supérieur en nombre et usant volontiers de la calomnie à votre endroit. C'est pourtant une tâche nécessaire que de déconstruire les arguments complotistes et de les replacer dans leur contexte de production et de diffusion (quelles sont leurs origines, qui les a mis en circulation, etc.)."
    Rudy Reichstadt - Fondateur de Conspiracy Watch - 24/02/2016 - L'Obs / Le Plus

  5. Retourner la charge de la preuve. Comme pour les croyances religieuses, il n'est pas possible de prouver qu'un complot ou qu'une persécution imaginaire n'existe pas. C'est à ceux qui affirment l'existence de quelque chose de non palpable d'en apporter la preuve et non pas à ceux qui n'en sont pas convaincus de prouver son inexistence.

  6. Se contenter d'un nombre restreint d'arguments, explicités avec conviction et de manière compréhensible par tous. En effet, une attitude conspirationniste est un moyen de rejeter la complexité du monde en lui substituant une vision simpliste. Le hasard est à chaque fois ignoré et remplacé par la question : "A qui profite le crime ?" Il est donc inefficace de lutter contre une telle attitude avec une argumentation trop complexe et sophistiquée.

  7. Les conséquences probables du programme politique doivent être analysées et critiquées s'il y a lieu, mais sans mauvaise foi. "L'extrême-droite, ce sont de fausses réponses à de vraies questions." (4)

  8. Hormis les délits d'opinion punis par la loi, ce ne sont pas les idées qui doivent être attaquées, mais toutes les infractions au droit (pénal, fiscal, droit, travail, etc.) qui en résultent.

  9. Bien expliquer ce qu'est le métier des journalistes, leurs méthodes de travail rigoureuses et leur impératif de produire une information fiable, car tout peut être prétexte à devenir un complot.

Il n'y a pas de remède miracle, mais si l'on ne tente rien, il probable qu'un jour on pourra s'en mordre des doigts.


Pierre Tourev, 23/03/2017




Notes :
    (1) c'est aussi valable pour une secte, un groupe ou un individu ayant une telle attitude.

    (2) Extrait de la page Effet retour de flamme : Dans un article de 2006, intitulé "When Corrections Fail: The persistence of political misperceptions", les universitaires américains Brendan Nyhan et Jason Reifler interprètent ce phénomène (dit effet retour de flamme) comme le résultat possible du processus par lequel les personnes contre-argumentent les informations incompatibles avec leurs croyances et renforcent ainsi leur point de vue. Une autre explication met en oeuvre le renforcement collectif et l'hypothèse selon laquelle il existe davantage d'informations que celles dont on dispose et qui soutiennent la croyance. En effet, si l'on sait qu'il existe une communauté de personnes qui partagent nos convictions et si l'on croit qu'il y a certainement des informations que nous ne possédons pas, mais qui l'emporteraient sur les informations contraires qui ont été fournies, alors la rationalisation devient plus facile, par un processus qui conduit à donner plus de poids au renforcement des croyances de la communauté. Il semblerait que l'effet retour de flamme est d'autant plus important que les croyances sont idéologiques et fondées sur l'émotion, que la personne manque de confiance en elle et a un sentiment d'insécurité.

    (3) Il ne suffit pas d'apprendre aux élèves à rechercher et à analyser l'information sur Internet, à distinguer le vrai du faux, il faut aussi les doter d'un esprit critique suffisamment flexible pour parvenir, si nécessaire, à changer d'opinion ou à reconnaître leurs erreurs sans que cela prennent une tournure dramatique.

    (4) Laurent Fabius - émission L'heure de vérité; 5 septembre 1984



Accueil     Textes     Haut de page     Contact   Licence CC