
La citation du mois (Historique) "Le leader populiste dénonce toujours un système dont il est lui-même issu." Matthieu Suquière |
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RMC, la radio du patronat
Pourquoi elle fait le jeu du Front national
RMC (Radio Monte-Carlo), la radio généraliste, dont le groupe NextRadioTV est le propriétaire s'est positionnée sur les thématiques "Info, Talk, Sport", comme l'indique son slogan. Avec sa sour, la chaine de télévision, BFM TV, elle distille à longueur d'antenne les discours classiques du patronat. Mais pour viser un large public, il est plus facile d'attendrir les auditeurs avec les malheurs des PME, des professions libérales et des artisans qu'avec ceux des actionnaires des grandes entreprises. C'est donc cette orientation qu'a prise la radio avec des discours plus ou moins policés car on y cultive aussi l'art de ne pas parler la langue de bois : "on empêche les entrepreneurs d'entreprendre", "honneur à ceux qui se lèvent tôt pour aller travailler", "trop de charges", "trop de bureaucratie", "pas assez de réformes", "trop d'assistés", "trop de fonctionnaires", "trop de grévistes". C'est le créneau de RMC, soit, mais n'oublions pas non plus que son but est de vendre à des annonceurs des minutes de publicité qu'il faut faire entrer dans le cerveau du plus large public possible. Ce public-là, on l'attire en flattant les plus bas instincts de l'être humain, car "c'est là que ça se passe" :
- le voyeurisme (auditif) : les catastrophes, le sang, les larmes des victimes, de l'émotion avant tout...,
- l'attrait du scandale, de la polémique, de la controverse que l'on va chercher dans les moindres recoins de la vie politique ou publique, le scoop à tout prix,
- la curiosité aiguisée (des rencontres sportives a priori banales présentées à coups de matraquage médiatique comme le match du siècle)
- la vie par procuration à travers des vedettes du sport et des "people".
Après tout, pourquoi ne pas faire du business avec les oreilles soumises de ceux qui arrivent encore à supporter la publicité, à l'insu de leur plein gré. C'est légal ! L'immoralité ou la perversité d'un tel système est un autre sujet.
RMC fait-elle le jeu du Front national ?
A plusieurs reprises, en écoutant une intervention ou un débat polémique lors de ces fameux "talk" où la parole est donnée "démocratiquement" aux auditeurs, je me suis dit, sans pouvoir au début l'expliquer : "Le FN vient encore de gagner 100 voix aux prochaines élections".
Je ne suis pas le seul à penser cela. Les Guignols de l'info ont, par exemple, ironisé en janvier 2015 sur les rapports entre RMC et BFM TV avec le Front National. Quelques mois auparavant, sur Europe 1, l'imitateur Nicolas Canteloup avait rebaptisé RMC, "Radio Marine Championne", en l'accusant de se réjouir de la montée du Front National, provoquant la colère du présentateur vedette de la station, Jean-Jacques Bourdin.
Pourtant, il ne me semble pas que le problème soit là. L'intégrité et l'honnêteté des animateurs-journalistes ne peuvent être mises en doute. Ils font très bien leur métier, même si l'on ne partage pas les valeurs que certains défendent ouvertement, et même "carrément" pour l'un d'eux, et pour lesquelles ils sont payés. D'ailleurs, les chiffres du CSA publiés fin mars 2015 après le premier tour des élections départementales, montrent que, du 9 février au 20 mars, RMC a donné la parole au FN pendant 14 % du temps d'antenne consacré à la politique, soit bien moins que ce que représente ce parti dans les urnes.
Ce qui donne l'impression que RMC pousse les électeurs vers le Front national est plutôt à rechercher dans le concept même de certaines émissions, notamment les débats construits sur des échanges téléphoniques avec des auditeurs qui peuvent communiquer directement avec les animateurs-journalistes. L'idée de départ de donner la parole à tous est séduisante. Mais dans les faits, les auditeurs qui interviennent ont très majoritairement un avis critique sur les différents sujets abordés et déversent une pensée fortement négative. C'est normal, on décroche rarement son téléphone pour se réjouir que "les trains arrivent à l'heure". Les auditeurs, quant à eux, risquent de tomber facilement dans deux biais cognitifs bien connus des psychosociologues :
- le biais de représentativité qui est la tendance à fonder son jugement ou à prendre une décision à partir d'un nombre limité d'éléments que l'on considère comme représentatifs d'une population beaucoup plus large.
- le biais de négativité qui fait que les individus sont davantage marqués par les expériences négatives que par les positives et qu'ils prennent davantage en compte les premières.
Effectivement, les auditeurs qui interviennent à l'antenne ne sont pas représentatifs de ce que pensent l'ensemble des français. Les auditeurs, ceux qui écoutent, ne peuvent que percevoir, au fil des émissions, que tout va mal sans ce "foutu" pays et que les hommes politiques qui nous gouvernent depuis des décennies sont "corrompus" ou "pourris". Les boucs émissaires ne manquent pas : les hommes politiques de l'UMP et du PS (surtout les élus "trop nombreux nourris au frais du contribuable"), l'Europe, les immigrés, les fonctionnaires, les assistés, les grévistes. Le Front national, qui n'a jamais été au pouvoir et qui sait très bien montrer du doigt ces boucs émissaires, apparaît comme l'ultime recours face à une peur qui s'incruste insidieusement dans les esprits.
Voilà pourquoi la radio du patronat, qui veut faire des bénéfices en gavant de publicité les cerveaux dociles de ses auditeurs, fait finalement le jeu du Front national. Un dégât collatéral ! ?
Pierre Tourev, 28/03/2015
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