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Le double sens de la "globalization"

par Pierre Bourdieu

Extrait de Contre-feux 2, Editions Raison d'Agir, 2000, page 95

(Unifier pour mieux dominer, conférence à l'université Keisen, Tokio, 2 octobre 2000)



Il faut ici revenir au mot "globalization" (ou, en français, de mondialisation) : on a vu qu'il pourrait, en un sens rigoureux, désigner l'unification du champ économique mondial ou l'extension de ce champ à l'échelle du monde. Mais on lui fait aussi signifier tout à fait autre chose, passant subrepticement du sens descriptif du concept tel que je viens de le formuler, à un sens normatif ou mieux, performatif : la "globalization" désigne alors une politique économique visant à unifier le champ économique par tout un ensemble de mesures juridico-politiques destinées à abattre toutes les limites à cet unification, tous les obstacles, pour la plupart liés à l'Etat-nation, à cet extension. Ce qui définit, très précisément, la politique néo-libérale inséparable de la véritable propagande économique qui lui confère une part de sa force symbolique en jouant de l'ambiguïté de la notion.

La "globalization" économique n'est pas un effet mécanique des lois de la technique ou de l'économie, mais le produit d'une politique mise en œuvre par un ensemble d'agents et d'institutions et le résultat de l'application de règles délibérément crées à des fins spécifiques, à savoir la libéralisation du commerce (trade liberalization), c'est-à-dire l'élimination de toutes les régulations nationales qui freinent les entreprises et leurs investissements. Autrement dit, le "marché mondial" est une création politique (comme l'avait été le marché national), le produit d'une politique plus ou moins consciemment concertée. Et cette politique, comme à son échelle celle qui avait conduit à la naissance des marchés nationaux, a pour effet (et peut-être aussi pour fin, au moins chez les plus lucides et les plus cyniques des défenseurs du néo-libéralisme), de créer les conditions de la domination en confrontant brutalement des agents et des entreprises jusque-là enfermés dans les limites nationales à la concurrence de forces productives et de modes de production plus efficients et plus puissants. Ainsi, dans les économies émergentes, la disparition des protections voue à la ruine les entreprises nationales et, pour des pays comme la Corée du Sud, la Thaïlande, l'Indonésie ou le Brésil, la suppression de tous les obstacles à l'investissement étranger entraîne l'effondrement des entreprises locales, rachetées, souvent pour des prix dérisoires par les multinationales. Pour ces pays, les marchés publics restent une des seules méthodes permettant aux compagnies locales de concurrencer les grandes entreprises du Nord. Alors qu'elles sont présentées comme nécessaires à la création d'un "champ d'action global", les directives de l'OMC sur les politiques de concurrence et de marché public auraient pour effet, en instaurant une concurrence "à armes égales" entre les grandes multinationales et les petits producteurs nationaux, d'entraîner la disparition massive de ces derniers. On sait que, de façon générale, l'égalité formelle dans l'inégalité réelle est favorable aux dominants.





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