
La citation du mois (Historique) "Idolâtrie. Phénomène païen qui accompagne le décès des papes." Jean-François Kahn |
|
|
Démocratie ethnique ou démocratie égalitaire ?
Racisme ou lutte des classes ?
Dans son essai "Après la démocratie" (Gallimard, Folio, 2008), Emmanuel Todd explique comment la démocratie et les principes d'égalité ont pu s'installer rapidement dans certains pays. Pour l'auteur, aux Etats-Unis, c'est l'existence de deux groupes de "parias", les Indiens et les Noirs, qui a permis au groupe des blancs de développer en son sein l'idée d'égalité et de démocratie, en focalisant sur les indigènes et les esclaves noirs les besoins de hiérarchie existant dans chaque société, en lieu et place des différentes classes sociales.
La notion de race, qui est éminemment séparatrice, a eu un effet "unificateur" pour la population des blancs immigrés venus d'Europe, même s'ils étaient originaires de pays et de cultures très différentes. Les Chinois et les Japonais vivant aux Etats-Unis, quant à eux, ont dû attendre jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, pour ne plus être considérés "comme noirs".
Pour Emmanuel Todd, aux Etats-Unis "racisme et démocratie constituaient bien une totalité fonctionnelle. Souvent considéré comme le défaut de la démocratie américaine, le racisme était, en réalité son fondement. Il est simultanément un principe d'exclusion et d'intégration, selon une formule sociopolitique assez banale lorsqu'on étudie la formation d'autres démocraties concrètes."
On peut ainsi citer, outre les Etats-Unis, d'autres exemples de démocraties formées sur une fermeture raciale ou ethnique du groupe des citoyens.
Pays |
Période |
Citoyens |
Parias / Exclus |
Athènes |
Ve siècle avant JC |
Avoir un père et une mère athénienne |
Esclaves, métèques, étrangers |
Etats-Unis |
XVIIIe et XIXe siècles |
Blancs |
Indiens, Noirs |
Angleterre |
XIXe siècle |
Blancs |
Peuples non blancs colonisés |
Afrique du Sud sous l'apartheid |
XXe siècle |
Blancs (Afrikaners) |
Noirs, Métis, Indiens |
Israël |
Depuis sa création en 1948 |
Juifs |
Arabes |
Le peuple des Seigneurs
L'égalité entre les citoyens est alors réservée à une caste dominante de la société, qualifiée de "peuple des Seigneurs" par le sociologue et anthropologue Pierre L. van den Berghe dans ses recherches sur le racisme.
Cette analyse pourrait être étendue à l'Allemagne nazie, bien que celle-ci n'ait pas été pas une démocratie. Elle a, en effet, mis sur un même pied d'égalité toutes les classes sociales en s'appuyant sur l'antisémitisme pour exclure, jusqu'à la "solution finale", une partie de la population et sur une hiérarchie subtile de l'infériorité (Juifs, Tsiganes, Slaves, Latins...)
Emmanuel Todd considère que c'est ce principe d'exclusion qui a permis aux démocraties naissantes de suppléer au manque de valeurs égalitaires dans les structures familiales ancestrales de ces pays. Cependant, après la Seconde guerre mondiale, la dynamique de développement de la démocratie a été suffisante pour que l'appel au sentiment de supériorité raciale ou ethnique soit moins nécessaire.
En France
Dans l'histoire des démocraties, la France fait un peu bande à part. Se définissant comme universaliste, la démocratie française, à ses origines, n'excluait personne, ne désignait pas d'individus "inférieurs". Néanmoins, on peut considérer "l'expulsion symbolique de l'aristocratie" comme l'acte d'exclusion, visant une catégorie prétendument "supérieure", qui a permis la constitution d'une nation d'hommes libres et égaux. Emmanuel Todd cite Emmanuel-Joseph Sieyès (1748-1836), très explicite dans son pamphlet révolutionnaire "Qu'est-ce que le tiers état ?".
Pourquoi le tiers [état] "ne renverrait-il pas dans les forêts de la Franconie toutes ces familles qui conservent la folle prétention d'être issues de la race des conquérants et d'avoir succédé dans leurs droits ? La nation, alors épurée, pourra se consoler, je pense, d'être réduite à ne se plus croire composée que des descendants des Gaulois et des Romains."
C'est ainsi qu'est née en France la lutte des classes que Karl Marx a théorisée dans son ouvrage "Luttes des classes en France" (1850). Le parcours démocratique de notre pays a ensuite été chaotique, oscillant entre la démocratie d'exclusion (esclavage, Empire colonial) et la démocratie d'affrontement de classes (1848, La Commune, le Front populaire). Cette dernière demeure cependant forte car elle trouve son origine dans un système anthropologique familial égalitaire.
Le fait de considérer que tous les hommes sont égaux conduit à remettre en question les privilèges économiques et sociaux de certains plutôt que de désigner des boucs émissaires. Or, depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, on est en droit de se dire que la France, sous l'impulsion du chef de l'Etat, est en train de glisser vers une démocratie identitaire, basée sur l'ethnie, la race ou la religion :
- hostilité envers les immigrés non européens,
- désignation de boucs émissaires (les arabes, les noirs, les jeunes des banlieues, les roms, et même les fonctionnaires...),
- création d'un Ministère de l'Immigration, de l'Intégration et de l'Identité nationale,
- rappel des racines chrétiennes de la France,
- stigmatisation de l'islam.
En réactivant la démocratie identitaire, Nicolas Sarkozy et l'UMP ont pu rallier en 2007 un électorat populaire savamment manipulé, habituellement séduit par les thèses du Front National. Les émeutes dans les banlieues, entre octobre et novembre 2005, ont également beaucoup contribué à ce ralliement.
Ne soyons pas dupes, le sentiment de peur engendré par un ennemi implicitement ou explicitement désigné permet d'occulter les problèmes économiques et le sentiment d'injustice face aux inégalités et au désastreux bilan économique dont seule une infime partie de la population a pu profiter. C'est un rideau de fumée pour dissimuler le vrai visage de l'UMP, la défense des intérêts de la bourgeoisie.
Pierre Tourev, 12 mars 2011
Notes :
Tableau comparatif !
Démocratie universaliste |
Démocratie identitaire |
Unité fondamentale du genre humain.
Liberté, égalité et fraternité. |
Discrimination, ségrégation, communautarisme, isolement |
Appartenance à une classe sociale |
Appartenance au corps social sur des critères raciaux, ethniques, religieux |
Lutte des classes |
Désignation de boucs émissaires, de parias |
Inégalités économiques et sociales combattues |
Inégalités économiques et sociales acceptées |
Laïcité |
Racine chrétienne de la France |
Prévention en matière de sécurité |
Répression sécuritaire contre la "Racaille", "Kärcher" |
Accueil
Textes
Haut de page
Contact Licence CC |
|