Présentation de l'éditeur :
Si le syndicalisme est un acteur essentiel des luttes sociales, il est aussi au coeur des luttes symboliques pour définir les objectifs et les moyens légitimes de ces luttes. La lutte des classes est aussi une lutte de classements et définir les frontières et les modalités légitimes de l'action syndicale en est l'un des enjeux. Ce dossier ne vise évidemment pas à fournir des réponses univoques et définitives à la question de savoir à quoi servent ou devraient servir les organisations syndicales. Il s'agit plus modestement de spécifier ces enjeux et de rendre compte des débats qui traversent le mouvement syndical dans le contexte actuel d'hégémonie de l'idéologie néolibérale.
Qu'en est-il du répertoire d'action et des horizons de pensées du syndicalisme à l'heure où est répété à l'envi qu'il n'y aurait plus de " grain à moudre ", pour reprendre la célèbre expression d'André Bergeron, secrétaire général de FO, qui célébrait ainsi la fonction de négociation des syndicats à l'ère du " compromis fordiste" ? La crise de 2008 et la généralisation des politiques d'austérité qui l'a suivie ont largement contribué à remettre ces questions à l'agenda militant et scientifique en déclenchant un cycle de protestation qui a été diversement investi par les syndicats selon les pays. Comment négocier avec les organisations d'employeurs et les pouvoirs publics tout en participant activement aux luttes sociales ? Comment parler au nom de tous les travailleurs lorsque les politiques économiques tournées vers la compétitivité des entreprises aboutissent à une hétérogénéité croissante des statuts d'emploi et des conditions de travail ? Lorsque les collectifs de travail sont fragilisés, voire démantelés, lorsque les partis politiques censés être les plus proches des syndicats voient leur rôle se réduire à celui d'une courroie de transmission du fatalisme économique, comment sont débattues dans et entre les organisations syndicales les enjeux stratégiques et idéologiques de la syndicalisation ?
Ces questions ne sont bien sûr pas nouvelles. La somme coordonnée par Colin Crouch et Alessandro Pizzorno dans les années 1970 résume bien la façon dont les spécialistes du syndicalisme y répondirent au cours du dernier quart du vingtième siècle. Impulsé, comme son nom l'indique, dans le but de comprendre la résurgence du conflit de classe en Europe après 1968, ce travail publié dix années plus tard se concluait en montrant comment les gouvernements d'Europe occidentale avaient réussi à endiguer la contestation sociale grâce à l'enrôlement des syndicats dans les politiques de gestion de la crise. Longtemps considéré comme le mouvement social par excellence, le syndicalisme devenait ainsi un rouage des institutions publiques, donnant forme à ce que les politistes baptisèrent " corporatisme libéral ". L'accélération de l'intégration européenne et la fabrique, à cette échelle, d'une ambitieuse architecture du " dialogue social " semblaient confirmer cette analyse. Dans le même temps, le champ en plein essor de la sociologie des mouvements sociaux se consolidait en ignorant, pour l'essentiel, l'enjeu de la conflictualité au travail.
D'une crise à l'autre, la résurgence de grandes mobilisations sociales orchestrées par les syndicats a permis de rappeler que l'institutionnalisation n'impliquait pas de renoncement irrémédiable à l'action protestataire. Plutôt que de chercher à qualifier de façon univoque et définitive les organisations syndicales, mieux vaut tenter de les situer au sein du triangle qui constitue, selon Richard Hyman, la géométrie du syndicalisme. Les organisations syndicales sont, selon les contextes nationaux et les périodes historiques, plus ou moins proches de l'un des sommets du triangle symbolisant les trois rôles idéal-typiques du syndicalisme : agent économique, partenaire social et organisation de classe. Ce sont donc moins les angles du triangle marché, société, classe qui doivent retenir l'attention que les directions vers lesquelles bougent les curseurs des revendications et des actions syndicales.
Cette tension est " au coeur des controverses sur le syndicalisme. Il s'agit de la contradiction entre la nécessité de construire une organisation majoritaire et l'impératif de mener une lutte efficace contre le système capitaliste, c'est-à-dire la contradiction entre un syndicalisme de masse et un syndicalisme de classe ". En France, la charte d'Amiens, adoptée en 1906 dans un congrès de la CGT, stipule en effet que l'organisation syndicale doit oeuvrer à " une double besogne ", quotidienne (obtenir des améliorations immédiates) et d'avenir (oeuvrer à l'émancipation intégrale des travailleurs par l'expropriation des capitalistes). Si les termes ont sensiblement évolué, l'enjeu de définir l'espace des possibles reste au coeur des luttes intra et intersyndicales. Il traverse toutes les organisations et se pose de façon diverse selon les contextes économiques et politiques. [...]
Dossier coordonné par Nathalie Ethuin et Karel Yon
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