
La citation du mois (Historique) "Le leader populiste dénonce toujours un système dont il est lui-même issu." Matthieu Suquière |
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Pour un protectionnisme européen renforcé et ciblé
Après trente années de néolibéralisme qui ont imposé le libre-échange, la condition du salariat s'est dégradée en France et en Europe. La mise en compétition brutale des travailleurs occidentaux avec la main d'oeuvre bon marché des pays en développement a détruit une grande partie de notre potentiel industriel et a provoqué un chômage structurel massif. Mais elle a aussi généré une pression à la baisse sur les salaires qui ne sont plus considérés que comme des coûts devant être réduits. En outre, les économistes constatent que sur cette période la part des salaires dans la valeur ajoutée a diminué de 10 points environ au profit de la rémunération du capital, notamment sous forme de dividendes versés aux actionnaires.
Ce ne sont plus les salaires qui, comme durant les "Trente Glorieuses", tirent la consommation. Les entreprises cherchent à écouler leur production par le matraquage publicitaire ainsi que par une incitation implicite à l'endettement des consommateurs. Depuis, la crise économique qui a débuté en 2007/2008 est venue nous rappeler combien il était dangereux de vivre au-dessus de ses moyens.
A cela s'ajoute un déficit commercial colossal de l'Union européenne avec la Chine. Il a atteint 133 milliards d'euros en 2009, contre 49 en 2000. Les exportations européennes vers la Chine ne représentent qu'un tiers des importations en provenance de ce pays. Ce rapport est de un à six entre les Etats-Unis et la Chine. Une des conséquences est la désindustrialisation des pays occidentaux. La France a ainsi perdu 1,9 million d'emplois industriels entre 1980 et 2007.
Seule l'instauration d'un protectionnisme ciblé pourrait inverser cette destruction du "travail disponible". Cependant, le mot "protectionnisme" est encore tabou dans la société libérale. Ne parle-t-on pas de "tentation protectionniste", comme s'il y avait une connotation religieuse ou sexuelle. Faut-il rappeler que le protectionnisme migratoire existe déjà et que l'on s'en émeut beaucoup moins.
Il ne s'agit pas de mettre en place une politique autarcique ou protectionniste au niveau national. C'est plutôt au niveau de l'Union européenne qu'un protectionnisme relatif doit être instauré. Les citoyens européens, contrairement à ce que disent les banquiers et ceux qui nous gouvernent, savent bien que c'est le seul moyen de sauver l'industrie de la disparition et de garder les emplois ainsi que les salaires qui vont avec.
Dans "Recherche le peuple désespérément" (Bourin Editeur, 2009, page 77), Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin proposent de mettre en place une "loyauté commerciale". "Il ne s'agit pas de décider d'un tarif extérieur commun unique, quels que soient les pays et les produits mais de trouver les conditions d'une certaine loyauté commerciale. Il faut cibler les produits manufacturés en provenance de pays où le différentiel de coûts de production est trop important et imposer des barrières tarifaires à l'entrée du marché européen rendant équitables les conditions de production." L'Union européenne doit aller beaucoup plus loin que ce qu'elle fait actuellement en puisant dans l'arsenal des mesures possibles, sans toutefois pénaliser les pays les plus pauvres :
- contingentements ou quotas sur certains produits,
- taxes transitoires contre le dumping social pour que les échanges soient plus équitables,
- barrières non tarifaires, sous forme de procédures administratives, de règles juridiques ou de normes techniques,
- sans oublier le levier monétaire, un euro plus faible faciliterait nos exportations et pénaliserait nos importations.
Avec près de 500 millions d'habitants, la taille du marché de l'Union européenne, à la fois en terme de production et de consommation, est suffisante pour qu'elle ne soit pas pénalisée par d'éventuelles rétorsions économiques.
Cette question du protectionnisme ne doit plus être un tabou. Elle doit faire l'objet d'un véritable débat public pour que chacun en comprenne bien les enjeux. N'attendons pas que des journalistes chinois, payés dix fois moins cher, viennent convoiter les places des journalistes des grands médias français pour que ceux-ci se réveillent et s'emparent du sujet.
Pierre Tourev, 18/11/2010
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