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Les conséquences d'une sortie de l'euro

Une autre bonne raison
pour ne pas voter Front national




Dans son programme politique 2017, le Front national envisage la sortie de l'euro :
"La France doit préparer, avec ses partenaires européens, l'arrêt de l'expérience malheureuse de l'euro, et le retour bénéfique aux monnaies nationales qui permettra une dévaluation compétitive pour oxygéner notre économie et retrouver la voie de la prospérité."
(Notre projet - Programme politique du Front national - Chapitre Redressement économique et social / Euro - page 69/106 du document pdf)
Avant d'en détailler les conséquences pour l'économie française, il ne me parait pas superflu de rappeler comment, sur le plan de la logique, s'articule cette proposition.

1 - Induction et déduction en économie politique

1.1 - Induction

L'objectif d'"oxygéner notre économie et retrouver la voie de la prospérité" est louable en soi. Il sous-entend que notre économie a des problèmes, notamment de "croissance" et d'"emploi", d'"austérité", comme le Front national l'indique à plusieurs reprises dans son analyse (page 68 de son programme). L'euro, désigné comme l'unique responsable de cette situation, devient le bouc émissaire de nos difficultés économiques.

Le passage du constat d'un problème à la solution miracle "il faut sortir de l'euro" est un raisonnement inductif, un raisonnement qui cherche à remonter à la cause d'un effet observé (ici la croissance insuffisante et la crise de l'emploi).

Le raisonnement inductif est utilisé en science mais aussi en économie politique. En science, il permet d'élaborer des théories que l'on peut expérimenter et qui sont considérées comme vraies, jusqu'à preuve du contraire, car la vérité n'est jamais définitivement acquise.

Quant aux hommes politiques et aux économistes, depuis des décennies, ils cherchent le remède miracle pour l'emploi et la croissance. Si une "nouvelle solution" est mise en oeuvre par le gouvernement d'un pays; tous les autres facteurs économiques et notamment ce qui se passe dans les autres pays, ne restent pas figés. On ne se trouve donc pas dans l'hypothèse "toute chose égale par ailleurs" qui permettrait de mesurer l'apport réel de cette "nouvelle solution". Ainsi, quelle que soit la situation du pays après sa mise en oeuvre, il sera difficile de dire si elle a aggravé ou amélioré la situation économique, et encore moins de dire si c'était la meilleure.

La proposition de sortir de l'euro, présentée comme la panacée économique, est une induction. Certes, elle est cohérente avec le parti pris nationaliste et europhobe du Front national, mais elle n'en est pas moins qu'une hypothèse. En aucun cas, elle ne peut être présentée comme une vérité. Comme elle n'a jamais été adoptée, elle constitue un saut dans l'inconnu, un pari auquel il faut bien réfléchir avant de s'y lancer car les conséquences ont toutes les chances d'être catastrophiques, sauf bien sûr pour les plus riches qui iront placer leur argent en Allemagne.

1.2 Déduction

Lorsqu'on tente de déduire les conséquences du projet de sortir de l'euro, on entre dans une étape de déduction. En logique, la déduction est "la méthode par laquelle on va de la cause aux effets, du principe aux conséquences, du général au particulier". Contrairement à l'induction qui ne produit que des hypothèses restant à vérifier, la déduction permet d'arriver à des conclusions vraies, si les prémisses le sont.

On pourra toujours dire que les déductions en économie politique ne peuvent être aussi rigoureuses que dans les sciences de la nature. Pourtant elles s'appuient sur les modèles économiques qui ont fait leurs preuves, des situations réelles qui, dans le passé ont montré clairement les conséquences de telle ou telle décision en matière économique. Lorsque les conclusions d'une large majorité d'économistes et d'experts convergent pour prédire une catastrophe pour la France si elle quittait la Zone euro, il est plus prudent de bien y réfléchir avant de prendre un tel risque.


2 - Conséquences d'une sortie de l'euro

Le processus de sortie de la Zone euro ne sera pas instantané. Dès son annonce et pendant toute la phase intermédiaire, les acteurs économiques, des particuliers aux spéculateurs, vont prendre des décisions pour optimiser les conséquences pour leurs investissements, leurs économies et leur patrimoine. La nature humaine étant ce qu'elle est, ils anticiperont les conséquences de la sortie de l'euro. Alors gare à la panique !

La possibilité de faire varier les taux de change

Le retour à une monnaie nationale donnera au gouvernement une variable d'ajustement supplémentaire pour faire face à la crise économique : la dévaluation compétitive qui permet des gains de compétitivité plus rapide et moins douloureux que des années d'austérité. C'est le principal argument des partisans de la sortie de l'euro. Une dévaluation peut avoir des impacts significatifs, mais elle ne constitue pas la solution miracle. Il faut en effet tenir compte d'une cascade d'effets négatifs que le Front national a tendance à passer sous silence.
Remarque : L'Angleterre qui ne fait pas partie de la Zone euro a dévalué sa monnaie de 20% durant la crise de 2008-2009 pour faire repartir sa croissance, sans grand succès.

La perte de valeur du franc

La balance des paiements de la France étant déficitaire, pour financer les importations, il faudra créer de la monnaie. D'où une baisse du franc (si tel est le nom de la nouvelle devise nationale) par rapport à l'euro et aux autres grandes devises qui est estimée entre 20 et 30%.

Si sa baisse est trop importante, le franc pourrait être déclaré inconvertible avec pour conséquence des fortes contraintes de change : interdiction d'importer certains biens, restrictions de devises étrangères pour ceux qui partent en voyage, restrictions des possibilités de transfert de fonds dans des banques étrangères, etc.
Autres conséquences : une diminution des échanges commerciaux et des pénuries de certains biens importés.

La baisse du pouvoir d'achat

A cause de la perte de change du franc, il faudra plus de francs pour acheter dans les autres devises (euros, dollars, yuans, yens, etc.) les matières premières et les biens importés dont nous avons besoin. La conséquence est une augmentation significative des prix des carburants, du gaz et de nombreux biens manufacturés. Cette augmentation des prix, ne pouvant être compensée par une hausse des salaires qui nuirait aux exportations, entrainera une baisse du pouvoir d'achat. Les entreprises, quant à elles, verront leurs marges diminuer.

L'aggravation des déficits extérieurs

Les partisans de la sortie de l'euro espèrent que nos produits, payés en francs, apparaîtront moins chers donc plus compétitifs, plus attractifs, facilitant ainsi nos exportations. Malheureusement, le déficit commercial sera aggravé à cause de l'augmentation des importations (Cf. paragraphe précédent : hausse du prix des matières premières et de biens manufacturés.
On a vu depuis 2012 que la baisse de l'euro par rapport au dollar n'a pas suffi à relancer les exportations des produits français.
En outre, en cas de disparition de l'euro, si une dévaluation nous ferait gagner en compétitivité vis-à-vis de l'Allemagne, notre monnaie serait appréciée par rapport à d'autres partenaires européens, compensant l'effet précédent. Certains secteurs d'activité seraient gagnants, comme le tourisme, d'autres seraient perdants comme l'agriculture, le secteur manufacturier et la finance.

Une crise de la dette privée et une hausse du chômage

Une dévaluation de 20 à 30% entrainerait un accroissement de toutes les dettes privées (1) vis-à-vis de créanciers étrangers de 20 à 30%. Le rattrapage par des hausses de salaire et l'augmentation des bénéfices des entreprises ne pourront être instantanés. De nombreux particuliers et entreprises feront faillite. Ces faillites d'entreprises entraîneront une baisse de l'activité et une hausse du chômage.

La fuite des capitaux et la raréfaction des crédits octroyés par les banques

Dès le déclenchement d'un processus de sortie de l'euro, les détenteurs de capitaux auront tout à gagner à rapatrier leurs fonds dans un autre pays de la Zone euro. Les banques françaises se trouveront alors à court de liquidités et verront leurs cours en bourse chuter car leurs actionnaires sont en majorité des étrangers. L'augmentation des taux interbancaires conduira les banques françaises à réduire fortement les crédits octroyés aux particuliers et aux entreprises ("credit crunch").

La vulnérabilité du franc face aux attaques spéculatives

L'isolement de la France, avec une banque centrale disposant de faibles réserves, ne permettra pas de soutenir longtemps le franc face à des attaques spéculatives pariant sur la baisse de la monnaie. La banque de France n'aura pas le même poids que la Banque centrale européenne pour les affronter.

L'augmentation mécanique de la dette publique

Si la dévaluation est située entre 20 et 30%, la dette publique libellée en euros sera, en francs, augmentée du montant de cette dévaluation, en vertu du principe de continuité des contrats. Si la dette publique avec l'euro représente 100% du PIB, en franc, elle passerait mécaniquement à 120 à 130% du PIB. La situation serait comparable à celle des pays latino-américains. Il en résultera une hausse des taux obligataires et une forte augmentation de la charge de la dette.

L'autre option serait de faire une conversion de la dette sur la base de 1 euro = 1 franc, qui semble avoir la préférence du Front national. Cela reviendrait à un défaut de paiement partiel, les créanciers perdant 20 à 30% de la valeur de leurs créances. La France ne trouverait alors plus de prêteurs étrangers, ce qui mettrait les banques et les assurances en faillite. Les taux d'intérêts augmenteraient fortement au détriment des investissements des entreprises et des ménages.

Pour rembourser sa dette en francs, la Banque de France serait obligée de créer de la monnaie, ce qui nous entrainerait dans un cercle vicieux dévaluation / inflation, contribuant ainsi à réduire encore plus le pouvoir d'achat des français.

Dans les deux cas, l'objectif de davantage de souveraineté ne serait pas atteint car la France serait à la merci des marchés financiers.

Le renchérissement du coût de la dette publique compensé par une nécessaire austérité

Grâce à l'euro, le taux d'emprunt pour financer la dette est très bas. Sans l'euro, il nous sera plus difficile d'emprunter à cause de l'augmentation du taux d'endettement (Cf paragraphe précédent). Les prêteurs ne voulant pas prendre de risques, il nous faudra emprunter à des taux beaucoup plus élevés. Le refinancement de la dette sera de plus en plus coûteux.

Dans le budget, la charge de la dette (2) augmentera sensiblement, nécessitant une politique d'austérité drastique pour compenser cette augmentation si l'on veut éviter le défaut de paiement.

Un appel douloureux à l'épargne des français et à la fiscalité pour financer et réduire la dette publique

Devant les difficultés pour financer la dette publique et la cherté des taux d'intérêt demandés par les prêteurs étrangers, l'Etat devra solliciter la Banque de France pour créer de la monnaie (avec pour conséquence l'inflation).... mais aussi faire appel à l'épargne des Français et à la fiscalité :
  • Risque de remplacement des anciennes obligations détenues dans les contrats d'assurance-vie par de nouveaux titres émis par l'Etat dont le remboursement et les taux d'intérêt seraient liés au performance de l'économie française,

  • Risque de forte augmentation des impôts (fiscalité indirecte et fiscalité sur le patrimoine)

En résumé :

Pour les particuliers :
  • perte de pouvoir d'achat,
  • accès plus difficile au crédit,
  • risque de restriction sur :
    • l'importation de certains biens,
    • le change,
    • les transferts de fonds à l'étranger,
  • risque de faillite personnelle pour les emprunteurs,
  • risque de chômage,
  • risque sur l'épargne, assurance-vie notamment,
  • risque d'augmentation des impôts.
Les grands perdants seront les personnes précaires, les plus modestes et les petits épargnants, c'est-à-dire la cible électorale du Front national.

Pour l'Etat et la monnaie nationale :
  • aggravation des déficits extérieurs,
  • augmentation de la dette publique,
  • augmentation de la charge de la dette dans le budget,
  • plus grande vulnérabilité face aux spéculateurs,
  • fuite de capitaux,
  • politique d'austérité.

Pour les entreprises :
  • gains de compétitivité rapidement absorbés par l'inflation sur les matières premières et les biens importés,
  • accès plus difficile au crédit,
  • renchérissement des intérêts d'emprunt,
  • risque accru de faillite selon le secteur d'activité.

Certes, le fonctionnement actuel de la Zone euro n'est pas optimal, mais plutôt que de la quitter, il serait préférable de développer l'union budgétaire et fiscale de type fédéral. Mais l'Allemagne, telle la "fourmi" de Jean La Fontaine, n'a pas envie de subventionner les économies "cigales" des pays du Sud, dont fait partie la France (3). Si l'on ne veut pas que l'Europe explose, non pas à cause du Front national, mais parce que les pays "vertueux" ne voudront faire la route avec les pays "laxistes" , il faudra que chacun des deux camps, les "vertueux" et les "laxistes", tentent de converger l'un vers l'autre.

Il n'y aurait rien de pire qu'une victoire des nationalismes.


Pierre Tourev, 07/04/2017



Notes :
    (1) La dette privée française dépasse 2300 milliards d'euros dont les 2/3 environ détenus par des créanciers étrangers.

    (2) Charge de la dette : dans le budget de l'Etat, l'ensemble des dépenses consacrées au paiement des intérêts de la dette publique.

    (3) Avant la crise de de 2008-2010, les pays du Nord, excédentaires, réinvestissaient une partie de leurs excédents dans l'achat d'obligations d'Etat des pays du Sud, déficitaires. Avec la crise et la croissance de la dette publique, ces pays sont devenus plus prudents.



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