La Toupie 
 
Site sans publicité, ni cookies, ni IA
 
L'abus d'images animées est dangereux pour le cerveau
(Les objets temporels)



La citation du mois
(Historique)
"Le leader populiste dénonce toujours un système dont il est lui-même issu."
Matthieu Suquière
Qui sommes-nous ?
Questions/Réponses
Contact
Contribuer à La Toupie
  La Toupie  >  Textes  >  Pourquoi le confusionnisme est-il si dangereux ?

Pourquoi le confusionnisme est-il si dangereux ?



Confusion : Faire apparaître les choses comme indistincte,
désordonnées, brouillonnes.

Qu'est ce que le confusionnisme ?

C'est le fait d'entretenir la confusion dans les esprits et d'empêcher l'analyse objective des faits. Vous voulez un petit exemple ? Le voici. Depuis des années, dans les milieux confusionnistes ou carrément d'extrême droite, une petite citation circule.
"Si je dis l'Algérie aux Algériens, tout le monde dit bravo !
La Tunisie aux Tunisiens tout le monde dit bravo !
La Turquie aux Turcs tout le monde dit bravo !
L'Afrique aux Africains tout le monde dit bravo !
La Palestine aux Palestiniens tout le monde dit bravo !
Mais quand je dis la France aux Français, on me traite de raciste !."

Cette citation clairement fascisante est pourtant attribuée à. Michel Colucci, Coluche, un homme pas vraiment célèbre pour apprécier l'extrême droite.

Voyez : en attribuant à tort (mais en imaginant que personne n'irait vérifier) une citation nauséabonde à un homme que tout le monde - ou presque - apprécie pour son humanisme et ses combats, l'extrême droite s'attire de nouveaux sympathisants en jouant la carte du "On vous l'avait bien dit, même Coluche penserait comme nous aujourd'hui".

Si vous dites à ceux qui citent cette phrase qu'ils se trompent, ils vous demandent vos sources et vous accusent de "politiquement correct" et de "bienpensance". Comme c'est habile.

C'est une catastrophe car ça marche ! Je vois des gens qui se disent de gauche et qui citent cet exemple (et tant d'autres) pour expliquer qu'on peut être de gauche, humaniste et dire non à l'immigration et oui à la préférence nationale (autre concept de droite) sous prétexte qu'on ne peut pas accueillir "toute la misère du monde" (autre concept de droite) et que même Coluche serait d'accord s'il était encore là. Mais non, tout cela est un tissu de mensonges.

Cette citation serait en réalité une phrase prononcée par un autre "humoriste" répondant au nom de Philippe Clair, pas du tout progressiste en revanche (et pas bien drôle non plus). Mais cela n'a pas été prouvé. En tout cas, la confusion portant sur Coluche est levée, mais que d'efforts cela demande ! Et pour 10 000 personnes qui lisent cette citation fausse, seuls 100 recherchent la vraie histoire qui se cache derrière.

Vous vous demandiez pourquoi l'extrême droite fonctionnait bien mieux que l'extrême gauche sur Internet ? Pour caricaturer un peu, il y a d'un côté ceux qui récupèrent tout ce qui fera sensation et parlera aux émotions (la facilité, sans considération pour la "vérité"), et de l'autre, un lent travail minutieux de décorticage qui prend beaucoup de temps et qui parle à l'intellect, qui demande donc des efforts de détachement, de compréhension et de remise en question. Sans aucun doute, il est plus facile de suivre la première voie. Plus dangereux aussi. Tentons modestement d'emprunter la seconde, analysons et décryptons.

Nous vivons un moment historique stratégique, qui pourrait aussi bien se révéler formidable que catastrophique. Formidable : le capitalisme ultra libéral s'use et se fragilise car s'il permet toujours à une élite de vivre et même de sur-vivre (dans le sens où elle vit avec beaucoup trop, trop de moyens pour 10 générations d'affilée, une aberration), elle n'arrive plus à faire vivre correctement les masses et pire, elle fait sous-vivre de plus en plus de personnes. Cet ultra libéralisme amoral et décomplexé sème donc les graines de sa propre destruction.

Catastrophique car cette probable chute du capitalisme annonce aussi une période de résistance durant laquelle ceux qui en bénéficient encore s'accrocheront tant bien que mal à leur pouvoir économique, politique et social, par tous les moyens, y compris les pires. Et pendant ce temps là, ce seront toujours les mêmes qui souffrent. Les droits vont s'amenuiser, les libertés aussi, et les luttes intestines risquent de créer des tensions et des haines si on ne fait pas attention les uns aux autres et qu'on préfère la concurrence à l'entraide, comme on nous a si bien appris à le faire.

Dans ce contexte, de nombreux courants anti-système naissent, mais tous, au-delà des critiques, ne sont pas vecteurs d'idées dignes et émancipatrices. Nombreux sont ceux qui pratiquent la confusion des idées dans le seul but de glaner un auditoire, un espace public, une notoriété, de l'argent, du pouvoir.

Ceux-là, que l'on nomme confusionnistes, sont dans le brouillage des méthodes et des moyens de lutte. Ils disent résister mais reproduisent les aberrations du système actuel (violence, hiérarchisation, identité, autorité, argent) : ils entretiennent donc un système en disant lutter contre lui. Et s'ils agissent comme cela, c'est tout simplement parce qu'ils se sont rendus compte qu'il était plus facile de dire "Coluche disait que" ou "le capitalisme est moins pire que le communisme mais pour concurrencer les Chinois, il faut pratiquer la 'préférence nationale' " plutôt que de dire "la France doit rester aux Français !" C'est moins agressif, c'est sûr, maisc'est de la manipulation de concepts ou de personnes à de mauvaises fins.

La peur de la récupération

D'une manière générale, tous ceux qui critiquent l'ordre institué craignent d'être "récupérés" par le confusionnisme. Etre confus, c'est ne pas avoir les idées claires, c'est être aveugle, ou refuser de voir. Être confus, surtout, c'est faire le jeu de ceux qui voient la chose politique comme un tremplin vers une renommée personnelle, une reconnaissance, un moyen de s'enrichir, faire la promotion d'idées à géométrie variable qui ne méritent pas d'être défendues. Rappelons-le, l'intolérance et le racisme ne sont pas des opinions mais des fautes, graves.

Droite et gauches libérales - mais chut, dites républicaines - ne sont pas dans la critique de l'ordre institué mais dans sa pérennisation. Leur confusion existe, mais uniquement dans les mots. En en appelant à la démocratie, à la république ou à la laïcité voire à la justice ou à l'humanisme, ces partis font vivre l'idéal capitaliste ultra-libéral, qui n'a rien de démocratique, humaniste, juste, etc.

Mais qu'en est-il des autres axes politiques ? Intéressons-nous à eux pour comprendre pourquoi ils entretiennent la confusion.

Chute des idéologies.

Depuis que l'enseignement public est devenu une éducation de masse, quelques livres validés par les autorités compétentes, suivant une ligne directrice forte, nous apprennent quoi penser. Qui a fait le bien, qui a fait le mal ? Ce que défend la gauche, ce que défend la droite, et en quoi l'extrême gauche serait comme l'extrême droite, indéfendable car extrême.

La radio, puis dans une plus grande mesure la télévision (voire le cinéma, de manière sous-jacente) sont venus renforcer ces manières "historiques" de réfléchir la politique. Cela avait une utilité bien logique : former une population aux raisonnements politiques homogènes et donc aux choix politiques relativement contrôlés et encadrés. On le sait, l'histoire est écrite par les vainqueurs.

Mais avec l'avènement d'Internet comme nouveau moyen de se renseigner mais aussi de renseigner, de nombreuses barrières sont tombées. Aujourd'hui, les gens qui voient bien que l'alternance au pouvoir n'est qu'un leurre (gauche et droite ne représentant que les deux faces d'une même pièce neo-libérale), ne savent plus à quel saint se vouer.

Les extrêmes gauches sont sans arrêt diabolisées à l'aide de mots désuets (URSS, goulag, stakhanovisme) et leurs représentants n'ont que rarement l'occasion aux droits de réponse sur les plateaux télé. L'impression donnée, c'est qu'ils n'existent plus, que les alternatives nouvelles n'existent pas. Qui a déjà entendu des "experts" parler clairement et sans pression de l'intelligentsia journalistique de marxisme, de l'anarchie, de l'écologie radicale (et je ne parle pas des Verts), ou de la décroissance comme systèmes anticapitalistes viables, à la télé, à des heures de grande écoute ?

Les idéologues novateurs sont marginalisés, malgré des idées dignes et porteuse d'un espoir post capitalisme. La vraie gauche politique, vectrice d'idéologies alternatives crédibles, est dans une impasse. Son vocabulaire s'est soit adapté aux injonctions libérales, soit figé dans une époque passée aux problématiques similaires mais différentes, car souvent aggravées.

L'extrême droite, elle est tantôt louée tantôt diabolisée afin de rester haute dans les sondages et dans les coeurs et assurer la pérennité de l'alternance. Le pouvoir a toujours eu besoin du fascisme pour apeurer les masses et se faire passer pour la seule alternative crédible.

Profitant de cette faiblesse des idéologies politiques face à un capitalisme métamorphe et tout puissant qui semble indépassable, face à des alternatives, vues et décrites comme dépassées et qui peinent à convaincre, certains penseurs se sont érigés en briseurs de normes contre la "pensée établie". Avec son slogan "gauche du travail, droite des valeurs", Soral a senti son époque, indéniablement, et a tenté d'en tirer avantage.

Cette tactique est intelligente au niveau politicien et communicationnel mais n'a aucun sens au niveau politique pur. C'est de la confusion et cela permet de récupérer de nombreuses voix, celles des laissés pour compte, des écrasés, des énervés.

Globalement, on ne compte plus les penseurs qui oscillent dangereusement entre les milieux - fondamentalement hétérogènes - que sont l'extrême gauche et l'extrême droite, selon les sujets dont ils débattent et les opportunités de diffuser leur message qui s'offrent à eux. BHL, Chouard, Collon, Seba, Meyssan, Dieudonné et bien d'autres ont tous cédé un jour à ces sirènes leur promettant longévité et réussite.

Mais être fondamentalement de gauche (ou de droite), c'est ne pas transiger sur certaines valeurs.

On est donc en droit de se poser cette question : ces nouveaux idéologues et leurs confusions ne représentent-ils pas cette perte de culture politique qui fait tant défaut à la génération Y ?

.Ou perte de culture politique ?

Ceux qui ne croient plus ni en la gauche ni en la droite ni en leurs corollaires peuvent se laisser tenter par les confusionnistes, surtout s'ils n'ont pas la culture politique pour comprendre de quelles idéologies les penseurs nationalistes/souverainistes/royalistes/fascistes sont le fruit, ni pour comprendre de quelles idéologies les penseurs socialistes/communistes /anarchistes/libertaires sont le fruit.

En maniant avec habileté des arguments culturels et sociaux (origines, religion, réalité économique et sociale, et minuscules faits de société) et en les mélangeant avec des arguments politisés, on peut convaincre n'importe qui que l'on est de son côté quand, en réalité, on le nie ou pire, on le combat.

De manière plus générale, de nombreuses "personnalités" et de nombreux sites se déclarent alternatifs. Ils se décrivent comme différents des médias traditionnels sous prétexte qu'ils ne sont pas financés par le grand Capital, mais ils se refusent à s'affilier au moindre courant ou à la moindre idéologie politique. C'est encore pire lorsqu'ils se disent affiliés à un courant idéologique (de vraie gauche) sans s'empêcher de relayer des idées contradictoires (de droite).

Ils pensent ainsi ne se fermer à aucun public et toucher tout le monde, de manière très large. La démarche est intéressante, et presque justifiable. Mais il est toujours très dangereux de refuser toute référence politique ou historique : il suffit de mal vérifier des sources à 2-3 reprises ou que quelques nouveaux entrent dans l'aventure pour entièrement modifier la ligne politique globale et faire entrer le site dans la sphère confusionniste.

L'Histoire doit être retenue pour une bonne raison et les mots ont un sens. De manière très générale, les sites qui refusent de prendre parti mais qui se disent différents de l'ordre dominant foncent tête baissée dans les bras de la confusion dès qu'ils ouvrent leurs micros et leur espace de rédaction à tout le monde, même à des personnalités dont la position est plus réactionnaire qu'alternative.
"L'inculture politique frappe non seulement les victimes de la rhétorique fascisante, mais aussi ceux qui s'échinent à la dénoncer. C'est ainsi que l'on voit fleurir ces derniers temps d'innombrables références au concept de "rouge-brun". Je conteste l'existence même de ce concept. Soit on est rouge, soit on est brun. C'est de la logique aristotélicienne pure : quelque chose ne peut pas être autre chose qu'elle-même ! C'est la conséquence, à mon sens, d'une méconnaissance profonde de ce qu'est le fascisme : ce dernier contient par définition des éléments de socialisme, mais ce n'est pas pour cela qu'il peut être de gauche."
Extrait d'un article du site Les Enragés
Cet extrait permet de comprendre facilement pourquoi aujourd'hui, on dit que l'extrême gauche et l'extrême droite se ressemblent. C'est un leurre idéologique dans lequel beaucoup tombent, des suites d'une confusion basée sur un manque de connaissances historiques et théoriques.

Peut-on mettre tout le monde dans le panier aux confusions ?

L'une des grandes théories des anti-confusionnistes - qui s'auto-proclament comme tels au nom de la pureté de leurs idéologies, qui ne flirtent jamais avec leurs opposées supposées - est celle de la contamination des idées, comme des virus.

En gros, si une personne décrite comme respectable et "pure" contacte ou flirte d'une quelconque manière avec une personne dite "confusionniste", elle devient automatiquement (par un jeu de contamination) confusionniste elle-même. N'est-ce pas un peu réducteur ?

Avec ce procédé, on en arrive vite à mettre tout le monde dans le même panier et à faire soi-même de la confusion autour de la notion de confusionnisme politique, ce qui, vous le comprendrez aisément, est fortement contre-productif.
L'exemple Chouard

Etienne Chouard est un enseignant français qui s'est fait connaitre en militant pour le "non" lors du referendum pour la ratification du traité de Lisbonne, en 2005. Sur son blog, il exposait de manière claire et détaillée les mécanismes de ce traité qui n'avait d'européen que le nom et qui sacrifiait toute union des peuples au profit d'accords économiques opaques et du délitement de la "souveraineté des peuples" (ce traité fut finalement adopté par décret deux ans plus tard par Sarkozy).

Certainement motivé par sa renommée soudaine, Chouard s'est ensuite efforcé de trouver l'origine de tous les maux de notre société moderne. Et selon sa théorie, c'est la Constitution le noeud du problème, c'est elle qu'il suffirait de maitriser pour redonner aux peuples le pouvoir. Jusque-là, rien de bien méchant. Certains pourraient arguer qu'il est favorable aux tirages au sort comme à la plus belle époque de la démocratie athénienne. Mais cela ne constitue pas un écueil grave à mon sens, le plus grave étant quand même de penser que le fonctionnement actuel du système politique est acceptable.

Là où Chouard a échoué, c'est dans la diffusion de son idée. Tellement pressé de contaminer la France entière avec ses gentils virus propageant la "vraie" démocratie, il n'a pas hésité à aller donner des conférences à gauche et à droite, jusque dans les cercles d'Egalité et Réconciliation du fumeux Soral. Erreur.

Les antifas lui sont donc tombés dessus à raison, l'accusant de faire du confusionnisme. Lui, énervé d'être pris à partie violemment, a rétorqué qu'il fallait apporter la bonne parole démocratique à tout le monde, sans distinction (quitte à être récupéré). Plus on lui reprochait cette alliance, plus il se sentait abandonné par la gauche anticapitaliste, sa famille de base (je pense).

Là, clairement, Chouard était dans le confusionnisme, apportant ses idées, convictions et motivations à des opportunistes politiques qui n'étaient pas (a priori) favorable à la démocratie du peuple par le peuple (il suffit d'écouter quelques discours autoritaires et fascisants du père Soral pour comprendre qu'il défend une vision dictatoriale du pouvoir). Passons.

Mais Chouard, qui semble être une personne très intelligente, a fini par faire machine arrière. Bravo. Il a admis s'être trompé sur la personnalité de Soral, a fait amende honorable et continué son combat, plus esseulé mais l'esprit tranquille. Pour moi, la page est tourné.

A priori, Chouard n'est plus dans la confusion. Et ce n'est pas parce que des confusionnistes se réclament de Chouard que ce dernier en est encore responsable. Ce n'est pas non plus parce que des non-confusionnistes citent Chouard qu'ils en deviennent confusionniste. Sinon, tout le monde le serait !

Aux adversaires du confusionnisme

Les adversaires du confusionnisme (dont je fais évidemment partie, mais la remise en question est l'une de mes lois) doivent faire attention à cet écueil au risque de paraitre extrémiste ou pire, confusionnistes eux-mêmes.

Le système capitaliste nous nie si violemment et si profondément en tant qu'êtres humains qu'il arrive à tous de faire des erreurs. Encore plus depuis Internet et la vitesse de circulation des infos. Même les "héros" révolutionnaires n'étaient pas si roses et ont parfois pactisé avec le diable. Est-ce suffisant pour minimiser voire ridiculiser leurs combats ?

Je pense qu'il est très important d'identifier et de faire comprendre ce qu'est le confusionnisme. Mais cette stratégie défensive et négativiste doit aller de pair avec une volonté positive, constructive, alternative, sans cesse renouvelée. Identifier des pratiques dangereuses et inviter à la prudence est une bonne chose. Casser du sucre sur le dos des autres, c'est une autre chose.

Le pouvoir a réussi à diaboliser toute idée de partage, d'entraide, de lutte sociale, de bien commun, de bien vivre.

Réapprenons à communiquer sur ces sujets, inlassablement, en changeant les perspectives, en adaptant nos points de vue. On ne peut pas toucher les générations actuelles comme on touchait leurs parents.

Il est impératif d'adapter les méthodes. Utiliser d'autres mots, d'autres formats, faire converger les luttes, rester dignes et lucides. Tout cela semble primordial car le combat est trop important pour être perdu. Et en continuant à critiquer le camp adverse sans faire mieux, on n'ira pas loin.

Sans visée à long terme et perspectives politiques, économiques et sociales ambitieuses, comment savoir où on peut aller ?


L'Indigné du Canapé, (publié le 3/12/2016 sur la Toupie)
Site : L'Indigné du Canapé



Sources : confusionnisme.info, lahorde.samizdat, Les Enragés, Blog du plan C



Accueil     Textes     Haut de page     Contact   Licence CC